Chez Louis Vuitton, dont les ambitions en joaillerie vont croissant, Francesca Amfitheatrof étoffe sa collection de juillet baptisée Spirit. « Les pièces majeures et les pierres exceptionnelles étaient exposées dans le premier chapitre, et désormais nous proposons des variations avec ce second volet », résume la directrice artistique. Il reste tout de même de sacrées gemmes dans les 30 nouveautés qu’elle fait aboutir, dont 36 rubis du Mozambique d’un rouge vermillon, montés en briolettes sur un collier aux triangles d’or. Les gimmicks d’Amfitheatrof sont là : angles nets, chevrons ou taille de diamant maison, reproduisant la fleur du monogramme Vuitton.

Cartier aussi ajoute une cinquantaine de pièces à sa déjà très vaste collection consacrée aux « Beautés du monde ». Un thème qui permet de ratisser large en puisant dans des splendeurs florales, animales, mais aussi architecturales ou textiles. Un bracelet dont les aigues-marines suggèrent un lagon voisine avec un collier inspiré par un paon, déployé autour de phénoménales opales d’Australie. Une parure de spinelles en cabochons prend sa source dans la forme d’un poisson combattant et une autre, piquée de rubis et d’onyx, imite certaines ceintures japonaises traditionnelles. Autant de bijoux graphiques qui montrent que Cartier surplombe toujours la discipline, grâce à la précision des dessins et à la finesse de « la façon », comme disent les joailliers, c’est-à-dire l’exécution artisanale.
Graff comme Gucci enrichissent eux aussi des collections préexistantes. Le premier fait sortir de ses ateliers londoniens 23 nouveautés pour faire la démonstration de son approvisionnement de haute volée en diamants, jaunes ou blancs, avec du carat maximaliste. La maison romaine, elle, ne lésine pas non plus sur la taille massive lorsqu’il s’agit de pierres fines : péridots, béryls, morganites… Une quarantaine de nouveautés reprennent têtes de lion, solitaires imposants, festons ou étoiles miniatures.

Tout un vocabulaire mis en place par Alessandro Michele, le directeur artistique au langage baroque qui a quitté son poste fin 2022. Voilà l’enjeu désormais pour Gucci : comment s’installer sur ce segment de la haute joaillerie, inauguré en 2018, sans renier les débuts de son ex-créateur, dont le groupe Kering a annoncé le 28 janvier le remplacement par Sabato De Sarno, venu de Valentino ? Car, contrairement à la mode, où une nouvelle tête pensante peut reconstruire de zéro un univers visuel, la joaillerie privilégie des codes esthétiques sur le très long terme.
Boucheron revisite une broche d’Elizabeth II
Ailleurs, d’autres maisons introduisent des collections de quelques pièces. Chaumet et Repossi, deux propriétés de LVMH, s’en tiennent tous deux à l’or blanc et aux diamants, mais dans deux registres opposés. Le premier, toujours meilleur lorsqu’il opte pour le minimalisme, dégaine des bijoux souples où des lignes s’entrelacent sensuellement. Le second, au contraire, privilégie la ligne droite qui tranche sur des bagues, manchettes ou ras-de-cou. Les traits d’or nets, en opposition à des diamants taille poire qui semblent flotter, évoquent parfois une partition de musique, avec sa portée, ses croches, ses clés de sol.

Nouveau venu, Rouvenat, du nom d’un joaillier du XIXe siècle, Léon Rouvenat (1809-1874), ranimé par quatre anciens de Cartier, s’essaie à trois pièces haut de gamme. Son pendentif reconnaissable – un cadenas recouvert d’or brossé et à quatre boucles latérales – est agrémenté d’une opale, de tourmalines Paraiba, de pampilles en rubis… « Nous voulons nous essayer à de la pièce unique à notre rythme. Sans concours de gros carats mais avec des pierres qui nous touchent », défend la cofondatrice Marie Berthelon.

Seul Boucheron imagine véritablement une collection complète et inédite, mais autour d’un seul motif d’archives : celui d’une broche de la maison de 1937, ovale et symétrique, séparable en deux parties, dont Elizabeth II fut propriétaire à partir de 1947. « Elle l’aura portée 47 fois en public de son vivant, avec un vrai attachement. J’ai voulu le retravailler comme une obsession et le rendre plus contemporain », explique Claire Choisne, directrice des créations.
Elle l’orientalise, avec festons, cabochons et traits de laque, dans des déclinaisons en bracelets ; le miniaturise, en trio de clips en saphirs ; lui adjoint une pluie de rubis, sur des chaînes en fil couteau ; le pousse jusqu’à l’absurde avec un « fermoir de cape » qui s’attache sur les deux pans du vêtement, en cristal de roche et diamants, transformable en collier ou broche… Pendant le développement de cette ligne qui aura demandé plus de deux ans au total, les équipes de Boucheron ont eu la surprise, le 18 septembre 2022, de voir resurgir la broche dans l’ultime portrait officiel de la reine. Elle la porte, ton sur ton, fixé à son ensemble bleu pâle.
